L'Armée d'Afrique s'est éteinte au lendemain de l'Indépendance de l'Algérie là où elle est née, 130 années plus tôt.
      Elle a légué à l'histoire les récits de ses glorieuses actions et à la postérité la ferveur de ses chants : les Turcos, les Africains, les Mousquetaires, la Marche (les Zouaves, la Marche des Tabors, etc.
      Chants patriotiques, chants de route, chants d'épopée ou chants de guerre, ils sont. quel que soit le sentiment qu'ils éveillent, chantés aujourd'hui avec une émotion contenue et sur un fond de nostalgie indéfinissable.
      Le plus prenant est incontestablement « C'est Nous Les Africains ».
      Les soldats venus d'outre-mer l'ont chanté crâne ment pendant la guerre de libération en 1944-1945 tout comme l'avaient fait leurs pères venus eux aussi de là-bas, pendant la guerre de 1914-1918..
      Ainsi s'est répétée l'histoire des « Africains » en ces périodes douloureuses pour la France.

     Ce chant est né sur le front en 1914, à l'époque de la bataille de la Marne, sous les bombardements d'artillerie, les rafales de mitrailleuse et la pression de l'ordre mémorable : « se faire tuer sur place plutôt que de reculer ».


les paroles d'origine

I

Nous étions au fond de l'Afrique
Embellissant nos trois couleurs,
Et sous un soleil magnifique,
Retentissait ce chant vainqueur :
En avant ! En avant ! En avant !

Refrain

C'est nous les Marocains,
Qui venons de bien loin,
Nous v'nons d'la colonie,
Pour défen'le pays.
Nous avons abandonné,
Nos parents nos aimées,
Et nous avons au cœur,
Une invincible ardeur,
Car nous voulons porter haut et fier
Ce beau drapeau de notre France altière :
Et si quelqu'un venait à y toucher.
Nous serions là pour mourir à ses pieds.
Roulez tambour,
A nos amours,
Pour la Patrie

Pour la Patrie
Mourir bien loin.
C'est nous les Marocains !

II

Mais lorsqu'éclata la guerre,
On nous vit tous avec élan
Nous élancer vers la frontière,
Pour en chasser les Allemands.
En avant ! En avant ! En avant !

III

Rien n'est plus beau que ma patrie.
Rien n'est plus beau que mon drapeau.
Nous avons donné notre vie,
Au régiment Poëymirau.
En avant ! En avant ! En avant !

IV

Et quand finira la guerre,
Nous rentrerons dans nos gourbis,
Le cœur joyeux et l'âme fière
D'avoir défendu le pays.
En avant ! En avant ! En avant !

      Le texte est du Sergent-major BENDIFALLAH et du Tirailleur MARIZOT du régiment de Marche de Tirailleurs Marocains formé à partir des restes de la Brigade de Chasseurs Indigènes Auxiliaires du Maroc, dissoute à la suite de très grosses pertes subies à la bataille de l'Ourcq, au Nord-Ouest de Meaux, en septembre 1914. Ce régiment était commandé par le Lieutenant-colonel POËYMIRAU, et avait dans ses rangs des officiers de valeur dont le Lieutenant JUIN futur Maréchal de France.
      Ce chant, sincère témoignage de bravoure, se répandit assez rapidement dans les rangs des troupes Nord-Africaines.
      Les Africains était chanté sur l'air de la Marche des Coloniaux avec des variantes d'un régiment à l'autre, au gré des bivouacs, des cantonnements et des déplacements. A son désavantage, il n 'a été mis en musique que bien longtemps plus tard ce qui explique probablement pourquoi il ne fut pas joué lors des cérémonies qui marquèrent la victoire du 11 novembre 1918.
      La guerre terminée, les troupes qui le chantaient reçurent d'autres missions: certaines retournèrent au Maroc pour reprendre les opérations de. pacification d'autres furent envoyées au Levant, asseoir le Protectorat français sur la Syrie et le Liban.
      Alors coupé de ses racines, sans audience, il s'en alla lui aussi vers les mess et les popotes de quelques garnisons isolées d'Afrique et s'y éteignit doucement.
      Dès lors que l'ennemi était chassé hors de France et que la paix était revenue, le chanter n'avait plus d'impact. C'est la Madelon son cadet d'un an qui animait et égayait, maintenant, les tournées sur le zinc et les retrouvailles entre Poilus.
      Nos chibanis ne se souviennent pas de l'avoir entendu ailleurs qu'à Paris, pendant l'entre-deux-guerres, quand les « Anciens Marocains » s'y réunissaient pour leur banquet annuel placé sous les auspices de leur association « la Djellaba ».
      La débâcle de 1940 contribua implicitement à sa résurrection. Au Tchad d'abord, dans la colonne LECLERC en route vers Koufra, en Algérie ensuite, dans les Chantiers de Jeunesse puis un peu partout dans les unités stationnées outremer après le débarquement Anglo-américain en Afrique, du Nord.
      La renaissance de nos armes en Tunisie, les exploits du Corps Expéditionnaire Français en Italie, les préparatifs du débarquement en France le ramenèrent à l'actualité et sur tous les tons. A nouveau de circonstance, il exaltait, comme en 1914 et à trente ans d'intervalle, le combat contre l'envahisseur, l'honneur au drapeau, la mort pour la patrie. Il conviait à la victoire et annonçait l'allégresse du retour, la guerre terminée.
      Le vigoureux souffle patriotique qu'il insufflait à des soldats venus d'horizons divers et appartenant à des Armes différentes nécessita son harmonisation et son adaptation à l'air du temps.
      C'est le capitaine Félix BOYER, chef de musique de la Garnison d'Alger qui s'en chargea : il recomposa le texte, fixa les paroles et le mit en musique, tout en lui conservant sa ferveur particulière.

le chant dans sa version de 1944

I

Nous étions au fond de l'Afrique
Gardiens jaloux de nos couleurs
Quand, sous un soleil magnifique,
Retentissait ce cri vainqueur :
En avant ! En avant ! En avant ! ! !

Refrain

C'est nous les Africains
Qui arrivons de loin
Nous venons des colonies
Pour sauver le pays
Nous avons quitté parents, gourbis, foyers
Et nous gardons au cœur.
Une invincible ardeur,
Car nous voulons porter haut et fier
Le beau drapeau de notre France entière
Et si quelqu'un voulait nous séparer
Nous saurions tous mourir jusqu'au dernier
Battez tambour
A nos amours
Pour le pays

Pour la patrie
Mourir bien loin
C'est nous les Africains !

II

Pour le salut de notre empire
Nous combattons tous les vautours,
La faim, la mort nous font sourire
Quand-nous luttons pour nos amours
En .avant ! En avant ! En avant ! ! !

III

De tous les: horizons de France
Groupés sur le sol Africain
Nous venons pour là délivrance
Qui, par Nous, se fera demain.
En avant ! En avant ! En avant !

IV

Et lorsque finira la guerre,
Nous reviendrons à nos gourbis,
Le cœur joyeux et l'âme fière
D'avoir libéré le pays
En criant, en chantant : En avant !

      A la 3° D.I.A. (la division aux trois croissants) le chant fut enregistré sur disque Columbia, d'après un arrangement de la nouba du 3e R.T.A. Les unités Marocaines conservèrent le titre initial : C'est nous les Marocains.
      C'est ce chant qui traversa la Méditerranée, débarqua sur les côtes de Provence en 1944, remonta les Alpes, traversa les Vosges franchit le Rhin et anima des soldats de la 1 ère Armée Française jusqu 'au Danube.
      Les soldats de ma génération l'ont chanté, avec enthousiasme et fierté dans l'allégresse des heures glorieuses de 1944--1945 et puis quand la France fut libérée et que les jours de liesse passèrent, il passa lui aussi, comme si en retournant à nos gourbis, nous l'avions ramené avec nous, tels nos pères en 1918.
      Il continuait certes à être chanté, ça et là, dans certaines unités des forces françaises en Allemagne, lors des heureux événements de la vie de garnison, mais il paraissait emprunté. Il y avait le ton mais pas l'accent.
      L'Association « Rhin et Danube », Amicale des Anciens de la Ire Armée française, après une. légère modification du refrain, en a fait son chant de tradition.
Le Passage :
Nous venons des colonies
Pour sauver le pays
Nous avons tout quitté
Parents, gourbis, foyers
……….
Est devenu :
Nous venons des colonies
Pour défendre le pays
Nous avons laissé là-bas
Nos parents, nos amis
………..
      Nos musiques militaires le jouent fréquemment lors des cérémonies traditionnelles et surtout, il est souvent chanté pendant les réunions et assemblées générales des anciennes troupes Nord-Africaines, etc…
      Devenu chant du souvenir, il fait l'effet de ciment dans le milieu Ancien Combattant et c 'est heureux qu 'il en soit ainsi.     
      Délaissé après la guerre de 1914-1918 qui l'a fait naître, les événements liés à la décolonisation le ramenèrent en France, à son point de départ.       
      « Tout chant militaire reflète, l'expression  spontanée du soldat a un moment de sa vie.,., », disait le capitaine Léon LEHUREAU. Le chant « les Africains » illustre parfaitement ce jugement avec ceci de particulier : il situe ce moment au feu en pleine bataille, avec une note d'espoir avant le combat et une autre d'allégresse après la victoire.
      Il reflète aussi et par-dessus tout, la bravoure et la fidélité de combattant exceptionnels, d'une troupe attachante, d'une Armée incomparable.
      La belle, image de l'Année d'Afrique s'estompe déjà : Elle ne survivra pas aux générations qui l'ont forgée. Les évènements allant dans le sens de l'histoire et l'ingratitude de l'oubli l'effaceront bien vite des mémoires. II. n'en restera plus alors que le chant « des Africains » pour rappeler aux générations futures les épopées de ces valeureux soldats venus d'ailleurs verser leur sang pour le salut de la France.

Lt-Colonel M. SPAHIS