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VOUS AVEZ DIT « PIEDNOIRS » Les fameuses bottes noires de la conquête Pourquoi ce sobriquet ? Le savez-vous, vraiment? Source PNHA n° 97, de janvier 1999
Ce mot fusa dès que la presse s'intéressa à nous(1)'. Recevant en cadeau ce méchant quolibet, sorti l'on ne sait d'où, nous l'avons supporté, faute d'avoir trouvé notre emblème national en ce pays radieux qui vit naître nos pères, souvent même nos aïeux ! Après l'avalanche de coups d'où nous sortions, coups arabes, coups français, en pleine révolution, groggy comme un boxeur relevé du K.O, nous n'avions d'autre choix que résignation ! Il faut dire que nous n'étions pas en odeur de sainteté. Le Pouvoir avait préparé le terrain aux anciens libérateurs des Armées d'Afrique !(2) Ses sbires avaient pour ordre de "bouffer du Pieds-Noirs". Cela passait mieux que tuer du Français (d'Algérie)... Après les exécuteurs de hautes oeuvres dits barbouzes, les centres de torture d'Hussein-Dey et d'ailleurs (pour PiedsNoirs ceux-là, mis au point aussi par les gouvernementaux et non la population), les fusillades et tueries d'enfants sortis sur leur balcon, échappant à leur mère, insouciants du couvre-feu diurne. A cette Saint-Barthélémy, il manquait l'estocade de l'arrivée. Hurlant avec les loups selon leur habitude, les médias ne pouvaient en s'agissant de Nous, qu'utiliser un terme générique disponible, dans la couleur du temps, noir et ironique. Fallait-il qu'à ce moment l'on se garde d'être bienveillant ! Il faut au moins les renier, avant de tuer ses enfants. Dans le contexte d'époque l'expression "Pieds-Noirs" ne voulait rien dire(3)",en ce qui nous concerne... On a tenté de lui donner du sens en l'attribuant aux Arabes, qui nous auraient nommés ainsi en évoquant les chaussures noires des soldats de l'Armée Bugeaud ? La pilule est passée, noyée dans la débâcle de gens qui avaient d'autres sujets de réflexion ! Nous attendons toujours qu'un chercheur ou un arabisant nous apporte la ou les sources attestant qu'elle était connue et utilisée, du moment de la conquête jusqu'aux "évènements", cette version "chaussures des premiers soldats". Pour désarticuler cette expression "Pieds-Noirs", inconnue jusque là de la communauté. algérienne de toutes origines, commençons par en séparer les deux éléments. Pied : l'on connaît bien sûr, "travailler comme un pied, être bête comme ses pieds", mais encore ? En quatre pages et demie, Littré nous propose, évoquant l'état d'une personne : "être sur un grand pied, sur un bon pied, avoir un certain pied, se mettre sur un tel pied avec quelqu'un" etc… Noir : Quant à lui, ne prend que deux pages du même dictionnaire, bourré de négatif comme "crasseux, méchant, mauvais, qui fait frissonner, funeste, qui excite une sorte de terreur". Pieds... et... noirs de surcroît ! Il y a redondance, dans le négatif ! Nous avons donc l'état, le genre mauvais, méchant, crasseux, effrayant ! Exagération dans la perfidie. Toujours dans le même ouvrage, le substantif "Pied-Bleu" : "Conscrit portant encore les guêtres bleues du paysan, (Larchey)". C'est certainement là que le premier journaliste a trouvé, en partie, l'idée de son sarcasme, dénué ici de toute interprétation favorable, concernant déjà le membre inférieur. Nous trouverons plus loin, son autre repère et l'expliciterons… Ce choix n'est en tout cas qu'une hypocrisie, très mal perçue par ses destinataires,une courbette au régime, un manque de gentillesse envers des compatriotes malheureux ! On aurait pu nous trouver, après ce désastre, un nom neutre ou plus généreux, qui se rapporte à nous, peu ou prou. Les Fritz, les Bronzés, les Ch'timis, les Bougnats, les Noirs, les jaunes, les Peaux-Rouges, les Pygmées sont des surnoms qui veulent dire quelque chose et leurs victimes pourraient s'y reconnaître. "Pieds-Noirs" nous ? Pourquoi ? Que va-t-on chercher là ? Combien de ces braves gens naïfs se sont déchaussés pour montrer leurs pieds blancs ! Quand le vent a tourné, quand notre Algérie conquise sur sables et marais, n'est plus la Côte d'Azur pour les désargentés, quand les impressionnistes ont rempli leur palette de mer bleue, de palmiers, de soleil, de moukères nu-tête... nous n'étions plus bons qu'à jeter aux orties, au ghetto des sans-race, comme des pestiférés. Seuls nos étrangers utilisaient ce nom, détesté par celui qui le recevait. D'anciens Français de France, depuis plus de 40 ans chez nous, fuyaient notre contact de peur d'être gangrenés. Un juif d'Algérie, oubliant dans sa peur sa francisation de 1870, s'est défendu aussi "Nous étions ici avant vous, nous ne sommes pas des "Pieds-Noirs". Ceux qui étaient partis avant la tourmente, osant renier leur race, source "d'embêtements", affirment sans complexe : "Nous étions en France avant les évènements", ou encore "Nous sommes ici depuis longtemps", comptant ainsi s'exclure de la condition "Pieds-Noirs", dégradante à leurs yeux ? Amplifiant la césure cherchée du terroriste, le système coupe en deux l'ensemble algérianiste. Les amis de la veille deviennent ennemis, écartent l'étoile jaune des nouveaux condamnés. Quelles conditions donc, fallait-il remplir, pour mériter cette punition ? Ainsi dans une famille, l'un des fils est "Pieds-Noirs" et l'autre ne l'est pas, suivant qu'il soit né ici ou là-bas ? Une règle informelle nous contamine ou pas et "baudets" de la fable, on nous montre du doigt ! Fallait-il être de ceux qui souffrent le martyre, ont été torturés, entassés en bateau ? Dans un commun accord, Fellouzes, Barbouzes, Français ont « bouffé » du "Pieds Noirs", Dieu triera les siens, la France non... Quelle marque uniforme aurions-nous portée, en ce pays sans nation, vacant depuis les Romains, qui en avaient fait "la plus riche contrée agricole de l'Occident". Désertifiée par les moutons et les chameaux de Maures nomades, cette contrée ne servait que de base portuaire pour les pirates Turco-Barbaresques. Les Basques, les Bretons avaient trouvé la leur, plus près de nous les Corses ont choisi "une tête de Maure aux yeux bandés" très significative du sort qu'ils réservaient aux envahisseurs africains. Les Européens naturalisés automatiquement depuis 1889, insatisfaits des incertitudes de la France quant à leur avenir, étaient tentés par une séparation, envisageant même une Sécession(4) de la part des Latins en général, Italiens et Espagnols ; tandis que les Autochtones, abandonnés par les Turcs, renonçaient dès 1900 à l'espoir d'un "mahdi", sorte de Messie qui les prendrait en charge. Quelques Chefs de tribu essayaient ça et là, puis Ferhat Abbas, député franco-algériens-arabe, demandait, pour ses coreligionnaires, l'intégration complète dans la nationalité française, puis depuis le refus vers 1930, songeait à une nation algérienne, non sans avoir déclaré : "J'ai cherché l'Algérie (5) dans les cimetières, je ne l'ai jamais trouvée (6)". L'administration a choisi, pour désigner les Français d'Indochine, de Syrie, de Tunisie et du Maroc, le terme de Rapatriés d'Outremer. C'était acceptable parce que ces malheureuses personnes déplacées venaient d'un Ailleurs où notre présence n'était que provisoire. Pour l'Algérie c'était différent. Successivement les gouvernements avaient déclaré solennellement qu'elle faisait partie intégrante de la France. Administrativement elle était composée de départements français. Les habitants possédaient tous la nationalité française et le droit de vote (In extremis lorsqu'il était trop tard)... La France devait être indivisible de Dunkerque à Tamanrasset ! Abstraitement : pour tous ces Français (d'origine ou d'adoption) la Patrie était indubitablement la FRANCE. Ce mythe, entretenu par nos éducateurs, est exacerbé par le fait qu'il est lointain, inaccessible. Pour ces petites gens constituant la majorité de la population, les Français de France représentent la race supérieure, ceux qu'on trouve le plus souvent dans l'encadrement, l'école, l'armée, l'administration ou l'entreprise importante. Le français parle avec l'accent et se moque de notre pataouète, on parle d'égalité au moment des guerres européennes. Le casque militaire va aussi bien aux chéchias, aux casquettes qu'au béret franchouillard. Parce qu'appartenant à un peuple cosmopolite, comme tous les polyglottes, nous avons inventé un jargon, le sabir, où chacun a conservé ses expressions idiomatiques.
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